Lorsqu'elle entra dans la salle, elle ne vit absolument rien. Tout était très sombre, elle percevait juste un écho, comme des pas... Quelqu'un marchait dans le noir, quelqu'un marchait de façon régulière, quelquefois une accélération, de temps à autre un frottement. Des pas qui tantôt s'éloignaient, tantôt se rapprochaient ou bien marquaient une pause.
Qui est là ? s'enquit-elle d'une voix mal assurée. Tâtonnant dans l'obscurité, elle avança inquiète vers une forme qu'elle commençait à deviner, peut-être une forme humaine et celle-ci se déplaçait lentement. Il ne fallait pas qu'elle cède à la panique...
Puis, tout à coup, l'ombre disparut. Elle retint sa respiration, une goutte de sueur s'écrasa sur le sol. Elle s'en voulait d'être entrée dans cet endroit dont elle ne retrouvait plus la sortie. Depuis combien de temps était-elle là ? Elle n'arrivait pas à lire l'heure sur sa montre...
C'est alors que d'un mouvement brusque, presque violent, l'ombre la saisit à la taille tandis que son autre main lui prit la sienne. Elle étouffa un cri de surprise mais la voix lui souffla tendrement :"Femme, ma plus belle poésie". Ces mots illuminèrent alors la salle, un tango se fit entendre, elle reconnut la voix de Roberto Diaz dans "Recuerdo".
Tout avait été dit. S'il lui avait fait mal en la prenant tout à l'heure, il s'était excusé par tout ce qui avait suivi : il ne restait que des actes, des gestes offerts à son corps. Il poursuivait les déplacements lentement, touché par le désir qu'elle lui montrait en l'accompagnant, attentif à ce qu'elle ressentait. Sa robe, parfois se relevait découvrant un genou enveloppé de soie noire et juste au dessus du bas, la blancheur de la cuisse. Fermant les yeux, s'ennivrant des tours qu'il lui faisait faire, des sacadas qu'il lui donnait ou des croisés de jambe qu'il lui guidait, elle arriva ainsi à un point de non retour, là-même où lui ne désirait plus rien d'autre.
"Milonguero" de Liliana Rago