20 juillet 2010

Les passeurs de tango

C'est un sacré méli-mélo le tango : non seulement dans les pas, les figures, les distorsions, s'élever vers le ciel et s'ancrer dans la terre, mais c'est aussi un méli-mélo de par ses origines. Le tango argentin est un enfant des pauvres gens qui serait passé, à un moment de son histoire, dans le monde des bourgeois, des bourgeois parisiens notamment puis serait revenu dans le milieu intellectuel, artistique pour sa plus grande gloire et après une parenthèse tragique aurait conquis la middle classe, les bobos !
Depuis son commencement, le tango est fait d'allers-retours : allers-retours géographiques, artistiques, sociaux. C’est pour cela qu’il a besoin de deux jambes et pas seulement pour danser. Certes, la danse est magnifique, unique, mais trop de danses peuvent le tuer. Les jambes d’immigrants venues d’Europe après des jours et des nuits de traversée, les jambes enchaînées d’esclaves africains, les jambes de gaucho et celles qui écrivent les poèmes, celles qui composent à la guitare ou au bandonéon, celles qui résistent, celles qu’on emprisonne et celles qui renaissent : l’histoire des jambes du tango n’est pas faite que de danses.

Des pas, des pas, oui et des passeurs aussi…
Des passeurs de tango. Ils sont nombreux aujourd’hui à vouloir sauvegarder, transmettre, offrir l’histoire, le poème oublié, le témoignage du vieux bandonéoniste, la partition jamais interprétée… Cinéastes, écrivains, musiciens, historiens, biographes, mais aussi associations, revues, etc. participent à ce mouvement qui donne à voir, à écouter, à montrer toutes les richesses de cette incroyable culture qui nous aide, qui nous construit, qui participe à notre vie.
"Le passeur" Photo de Gilles Franqueville

13 juillet 2010

Brûlant tango...

Si le tango est sensuel, il est aussi source de souffrance, ce qui est toujours plus excitant que de ne rien ressentir...

Il se faisait plaisir, à l'idée qu'elle pourrait arriver dans la milonga au moment où il danserait milonguero avec une autre.
C'est ainsi qu'ils se sont rencontrés et quand elle l'a aperçu dans cette position, elle a tout de suite compris qu'il l'avait fait pour que naisse chez elle une infime douleur, légère mais néanmoins réelle. Cela a duré quelques danses, parfois ils se sont croisés semblant indifférents à ce qui leur arrivait mais leurs corps éloignés témoignaient de leur trouble par un frémissement de la peau.

Plus tard, lors d'une nouvelle tanda, il a marché vers elle soutenant son regard violent, noir et elle a compris que jamais il n'arrêterait de marcher, parfois aérien, parfois ancré dans le sol, mais toujours avec elle. Et depuis, son souffle sur sa chair l'aide à se laisser aller, la danse les métamorphose.
Enveloppée des bras de l'homme, elle imagine, elle imagine et ne résiste pas à la figure, au tour, à la musique, à la voix... Le tango et l'homme lui offrent toutes ses sensations, cette main sur sa peau au fur et à mesure que la danse progresse, qu'il se déplace comme un félin, cette main la fait frissonner. Et le bout de ses seins de durcir. Elle croit qu'elle est allongée, qu'elle rêve, elle a la sensation d'avoir fumé ou légèrement bu. Vite, un geste pour sentir qu'elle est bien debout, elle enfonce ses ongles peints dans la nuque de l'homme, celui-ci s'écarte alors légèrement, laissant ainsi un peu d'espace, n'emmêlant plus leur corps, mais toujours ensemble dans la danse. Il voit mieux la rougeur de ses joues, son cou, son épaule dénudée. Ce paysage l'émeut, l'excite, il souhaite ardemment continuer à la désirer, à l'aimer et à danser avec elle.
Dessin Andy Warhol

3 juillet 2010

Le tango du détraqué

Pour m'en sortir j'étais prêt à tout. J'avais commencé par la partenaire de R. car pour enseigner, le mieux est d'être en couple. D'une pierre j'avais fait deux coups : lui prendre sa petite amie et l'éliminer de la scène tango. De perdre son amour l'avait mis en dépression sévère et il avait perdu l'usage de ses membres.

Le second prof que j'avais éliminé était très couru par toute la communauté internationale de tangueros. Il avait beaucoup de fric, faut dire qu'il ne lésinait pas sur les cachets, il avait d'ailleurs mis sur la paille plusieurs associations, notamment en Italie. J'allais l'arrêter dans son élan, il ne s'y attendait pas. J'adorais la plongée et ça tombait bien : lui aussi. Lors d'une promenade en mer, au fin fond d'un océan j'ai débranché son oxygène. Accident stupide. Plus jamais il n'enseignerait son jeu de jambes hérité de Virulazo, un sacré beau jeu de jambes faut dire ! Ce qui est génial c'est qu'avant qu'il ne disparaisse il avait eu le temps de me le transmettre !

Au bout de cinq années, le nombre de profs avait considérablement diminué dans le monde mais Interpol commençait à s'intéresser à ces disparitions, ces accidents, ces suicides (j'étais assez doué, je le reconnais, pour maquiller certaines éliminations en suicide).
Je savais qu'il leur faudrait beaucoup de temps pour faire le lien entre l'immense professeur de tango argentin que j'étais enfin devenu et l'assassin qui officiait dans le monde de la danse.

Petit à petit, j'amassais une jolie fortune à travers mes voyages, d'autant plus que les élèves étaient maintenant très nombreux. Les associations avaient pratiquement disparu car elles n'avaient pas su faire face à l'inflation et je ne travaillais qu'avec des banques suisses, des armateurs grecs et des entreprises françaises telles que l'Oréal, qui sponsorisaient le tango argentin.

Cependant, le travail que j'avais avant me manquait et je réfléchissais depuis qu'une petite association de tango argentin située en Corrèze m'avait approché. Il leur restait un peu d'argent et sa présidente m'avait demandé si je pouvais faire en sorte de mettre hors piste quelques enseignants trop gourmands. Elle m'avait d'ailleurs laissé entendre qu'il y aurait de l'avenir dans cette activité car elle sentait un vent de fronde du côté des quelques associations à but non lucratif qui restaient ici et là, à Milan, Barcelone, Cologne, Manchester, Prague…
Je crois que je vais aller m'entraîner un peu.