3 janvier 2007

A la recherche du tango perdu

Après un siècle d’absence il revenait dans sa ville natale mais ces immeubles, ces rues, ces odeurs, il ne les reconnaissait pas. Dans un bistrot où le jeu n'avait plus cours et où ne se trouvaient que des hommes, il but un alcool fort. La nuit venue, il se dirigea dans une ruelle sombre, il se rappelait être venu ici vers ses 17 ou 18 ans après avoir reçu une raclée par son père qui était, une fois de plus, ivre. Le dos endolori par les coups reçus, il avait décidé de se rendre à «La Trotona» où on lui avait dit qu’il pouvait passer la nuit en bonne compagnie. Il se souvenait de ces mains qui avaient caressé ses hématomes, de cette bouche qui lui avait effleuré sa lèvre fendue et de ce corps lourd et chaud qui l’avait initié à la sensualité. Plus tard, Margo lui avait montré parmi la foule de danseurs, quelques pas de tango sur un morceau de Eduardo Arolas …
Ce soir là, en arrivant dans la ruelle, il espérait rencontrer à nouveau des danseuses professionnelles ou quelques serveuses qui accepteraient bien une milonga. Quand il franchit la porte et s’acquitta d’un droit d’entrée, il crut reconnaître «Mi noche triste», un tango de ses jeunes années. «Faut-il que tout change pour que rien ne change ?» mais cette première impression le quitta rapidement. Les hommes, surpris par son accoutrement s'éloignèrent de lui et les danseuses, en tout cas celles qui n’étaient pas sur le plancher, le dévisagèrent en pouffant. Il ne reconnut pas Margo parmi elles, même si elles avaient des bas résilles, des jupes fendues et des yeux noirs et, pensa-t-il, elles n’en veulent pas à mon portefeuille. Lors du premier tango qu’il fit avec une jeune danseuse, il apprit qu’il ne faisait pas suffisamment de figures, au second, elle lui expliqua qu'il y avait des cours où on pratiquait pendant une heure des échauffements et au dernier qu’il pouvait s’inscrire à un stage pour 2000 pesos !
"Apprendre le tango... mais il n'y a rien à apprendre ou plutôt si mais pas comme vous croyez. Danser, danser mais il faut aussi parler, le tango ça se parle, c'est tout aussi important de le danser que de parler de lui, de connaître ces hommes et ces femmes qui ont fait le tango. Voilà pourquoi je voulais revenir ici ce soir pour être avec vous, en parler avec vous. Mais vous n'écoutez pas, pas encore..."
Et l'ombre se glissa hors de la milonga, retournant à ses souvenirs d'un tango immortel.

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