25 novembre 2009

Trois femmes et un tango (2nde partie)


Nous retrouvons A, G et S, trois danseuses qui connaissent les deux côtés du miroir.

Apprenez-vous quelque chose que vous ignoriez du tanguero ? Voyez-vous la place du danseur de manière différente aujourd’hui ? En quoi ?

A : "Alors oui ! Sur un plan à la fois concret (technique ?) et sensoriel : la force de cette capacité à produire, à procurer une action féminine, lorsqu’elle l’accepte bien sûr !
C’est assez incroyable de voir qu’une impulsion (si petite soit-elle physiquement mais énorme sur le plan de l’intention), lorsqu’elle est juste et attentionnée, peut rendre autant.
C’est comme si la femme se livrait véritablement, comme si notre intention se répercutait jusqu’à la pointe du pied de la femme (avec connotation érotique si vous voulez, mais surtout la force de l’échange) et c’est assez jouissif !
Mais l’on perçoit aussi à quel point la femme est active, doit l’être, elle aussi, et intentionnée, également. Et j’ai pu ressentir à quel point effectivement si elle ne l’est pas, cela peut être un grand moment de solitude pour l’homme.

Apprendre le guidage m’a donc aussi permis de percevoir autrement le « rôle » de la femme dans le tango.

C’est un échange, il n’y a pas de doute là-dessus, qui peut s’ajuster progressivement, au cours de la danse, si chacun va à la rencontre de l’autre, quel que soit le niveau, mais encore faut-il avoir envie de découvrir et de rencontrer l’autre, de s’adapter à l’autre, de faire avec ce qu’il est, profondément.
Et la maîtrise, de quel côté est-elle ? Un grand danseur argentin nous rassurait : les hommes, vous croyez que vous guidez, mais la plupart des mouvements ne le sont pas, il y a les contraintes corporelles (et tout le reste, sensations, envie, …) qui font que l’on ne maîtrise pas autant que l’on pense, et la beauté du tango, c’est de faire avec ça, de composer, ensemble et avec l’autre.

G : -"On apprend surtout à devenir plus patiente et plus indulgente en voyant à quel point le rôle du cavalier est difficile.

- Mais on perçoit aussi bien mieux ceux qui font de réels efforts puisque nous-mêmes on en fait et on sait ce que cela veut dire, et ceux qui ne sont pas prêts à en faire."

S : "Oui comme dit précédemment, je comprends mieux les difficultés du guidage, de la gestion des autres couples dans le bal, de la circulation dans le bal depuis que je me suis moi aussi familiarisée avec le rôle de guideur."
Tableau Picasso “Deux femmes courant sur la plage” 1922
A suivre...

19 novembre 2009

30 000 tangos

Dans les années 60/70, des militaires français ont été envoyés en mission par l'Etat français en Argentine pour former des militaires sud américains aux méthodes de torture, d'interrogatoire et d'élimination de témoins.

Que chaque milonga de ce soir programme un tango en hommage aux 30 000 enfants d'Argentine torturés, disparus, assassinés entre 1976 et 1983. Aujourd'hui, à Buenos Aires, défilent à la barre du tribunal argentin, leurs bourreaux qui devront, enfin, répondre de leurs actes...

A 1'17, La Escuela Superior de Mecánica de la Armada devenue Musée pour la mémoire.

14 novembre 2009

Trois femmes et un tango

Après "Nous avons été", message du début du mois, nous sommes allés à la rencontre de trois femmes (Lyon, Granville et Paris).

A., G. et S. ont fait le choix d'apprendre à guider ; nous leur avons posé trois questions.

1) Qu’est-ce qui vous a incitée, motivée à apprendre le guidage habituellement réservé à l’homme ?

A.
"Un peu par hasard au départ, face au manque d’hommes aux cours de tango mais surtout pour l’attirance indétournable pour cette danse (sous tous ses angles), véritable passion qu’aucun homme (…) ne pourrait remplacer, passion qui ne peut trahir ; le tango sera toujours là, il est en nous dès lors qu’on l’a rencontré, inaltérable, permanent, irréversible, et renforcé au fur et à mesure qu’on le découvre un peu plus ! Mais peut-être les hommes ressentent-ils la même chose ?

La curiosité en même temps, l’intérêt pour cette danse amène forcément à se préoccuper de ce qu’est l’autre, de ce qu’il fait, ce qu’il ressent, donc de son rôle ; le tango argentin est avant tout une rencontre entre 2 personnes, cette démarche fait partie de la rencontre et de la découverte de l’autre, de l’intérieur. (bon peut-être y a-t-il un peu de tiers, avec la musique, ouf !).
Donc c’est tout naturellement que cette démarche vers la compréhension du guidage, du rôle, de l’homme, continue de me mobiliser."

G. - "Envie d’apprendre «autre chose» et de progresser dans le rôle exigeant du guideur.
- Curiosité : qu’est-ce qui se trouve à l’origine du mouvement de la cavalière ?
- Plus de plaisir à danser : on s’amuse deux fois plus.
- Un peu de lassitude, parfois, d’attendre d’être invitée pour être quelquefois malmenée !!
- On parvient à se dédoubler et à connaître des sensations réservées d’ordinaire à la cavalière ou au cavalier. C’est enrichissant et intéressant !"

S. "Pour moi le tango est une danse à deux qui suppose des rôles distincts : un rôle de guideur, un rôle de guidé (ou suiveur bien que ce terme ne m’emballe pas trop). Ces rôles sont traditionnellement attribués à un genre. Autrement dit, la fonction dans la danse résulte du culturel, il s’agit bien d’un rôle et non pas d’une donnée ontologique.
Comprendre
le rôle de l’autre peut aider à danser, mieux danser. Apprendre le rôle de l’autre fait pour moi partie de cette connaissance de la danse.

Et en plus d’un point de vue strictement personnel, jouer avec la musique étant attribué au guideur, il est intéressant de connaître son rôle pour mieux comprendre ce qu’il suppose comme difficulté, «état d’être à l’autre», écoute…"

A suivre...

Photo du film "Frida Kahlo"

7 novembre 2009

Un tango au couteau

Ce film d'animation, vrai bijou de cinéma, pour nous rappeler ces hommes et ces femmes qui arrivaient de Galice ou de Varsovie, du Pays Basque ou de Napoli... Nous pensions tout savoir sur les origines du tango, eh bien non : nous avions oublié l'esthétisme des rixes à l'arme blanche. Regardez !



Gabriele Zucchelli est né en 1972 à Pavia (Italie). "For a tango" a été réalisé en 2004. Gabriele Zucchelli a travaillé sur des séquences de "Harry Potter 3", "Alien vs Predator", "Batman forever"...

1 novembre 2009

Nous avons été

Photo de Carlos Furman

Elle est posée ici, sur une chaise, dans cette milonga où elle vient depuis des années, elle ne les compte plus mais elle vient et retrouve ses soeurs assises comme elle qui sur un banc, qui sur une chaise, toujours à la même place, elles se ressemblent, regard identique, le corps quelque peu usé, endormi, les pieds fatigués de ne pas assez bouger, marcher, s'élancer, elles connaissent le no man's land de la piste, elles sont posées ici et elles attendent,

elle aussi attend et elle regarde...

...ce danseur au tee shirt rayé qui lui fait penser à un marin, elle ressent son abrazo musclé et imagine son odeur d'embruns, elle devine un tatouage sur son épaule... Moment sublime d'imaginer... Elle imagine plus qu'elle ne danse.
Jamais son mari n'a voulu apprendre à danser le tango, il ne l'a jamais accompagnée à un bal, c'est déjà bien qu'il la laisse y aller, il se doute qu'elle ne danse pas beaucoup, elle le lui dit d'ailleurs mais lui ne change pas d'avis.

Elle attend et elle regarde...

...ce garçon gracieux, félin, jeune. Bien sûr, il a la chemise par dessus le pantalon, il danse en basketts et il porte les cheveux longs mais son corps sait donner de douces impulsions ou parfois encore il suspend un mouvement et elle, sur sa chaise, en un éclair elle se sent envahie d' un léger tremblement, palpitation intense...
Son mari ne lui fait plus l'amour ou alors une fois comme ça, rapidement, elle a à peine eu un frisson qu'il est déjà en train de se revêtir. Elle ne lui dit pas, elle ne lui dit plus.

Elle attend encore et toujours elle regarde...

Déjà cette heure-là se dit-elle. Le temps passe et pourtant rien ne change. Elle pense qu'il viendra, qu'il va arriver, elle l'attend avec fièvre, c'est bientôt l'heure pense-t-elle, il va arriver. Sinon elle va faire comment avec ce gouffre en elle et cette salle comble. Elle croit qu'il y a quelqu'un et peu importe s'il ne porte pas un pull rayé ou si son abrazo n'en est pas un.
Chaque fois qu'elles viennent dans cette milonga, elles continuent de croire qu'un danseur viendra, viendra à bout de leur solitude. Mais souvent, la musique est trop forte, trop intense et les danseurs n'entendent pas la solitude de ces femmes assises qui sur une chaise, qui sur un banc, toujours à la même place...